2015 (automne). « ATTENTION ! » Un flash et puis, le noir total. Un noir encore plus sombre que la nuit, un noir encore plus noir qu’un café serré. Lorsqu’elle se réveille, Alizea a mal à la tête. Un mal de tête comme elle n’a jamais eu auparavant. Elle ouvre les yeux, elle les referme aussitôt. La lumière est trop vive. Le mal de crâne s’active un peu plus. A côté, elle entend une voix qui l’appelle. Elle reconnaît ses parents. Elle ouvre les yeux, les ajustant à la lumière. Alizea comprend bien vite qu’elle se trouve à l’hôpital, que quelque chose ne va pas. Et puis, ça lui revient petit à petit. Elle était en voiture avec Luca, son frère à lui et une amie. Ils revenaient d’une soirée, d’une ville à côté. Il pleuvait comme il n’avait jamais plu en cette période de l’année. Le frère de Luca conduisait, il était sobre. Mais le conducteur se trouvant en face d’eux ne l’était pas, lui. La panique monte. Alizea cherche à se redresser, à s’extirper de son lit d’hôpital. Son père la retient aussitôt mais elle comprend bien vite, de toute façon, qu’elle ne peut pas s’échapper. Jambe droite plâtrée, côtes douloureuses et autres hématomes sur tout le corps. Elle douille, elle serre les dents. Alors, elle regarde ses parents d’un air anxieux. Elle veut savoir comment vont Luca et ses amis. Ses parents cherchent encore comment le lui annoncer. Et puis, sa mère prend la parole. « Luca n’a pas survécu. ». Et là, encore une fois, le noir total, les larmes coulant sur son visage.

Luca, c’était son fiancé. Celui qu’elle connaissait depuis le lycée. Cliché, peut-être mais c’était son premier copain aussi. Cette année-là, ils avaient vingt-trois ans. Ils étaient heureux, venaient de se fiancer, Ali venait de commencer à travailler à la bibliothèque : c’était parfait. En plus, grâce à Luca, Alizea commençait à se sentir mieux dans sa propre famille. Forcément, la relation qu’ils avaient respectait les vieilles traditions que prônaient ses parents. Même les comparaisons avec sa sœur aînée semblaient avoir cesser, c’était dire. Sauf que, tout bascula en cette soirée d’automne.


2017. « Bienvenue chez toi ! » Enfin, Alizea s’est décidée à quitter le nid familial. En même temps, à vingt-cinq ans, il était fort temps. Cela faisait plus ou moins un an et demi que la jeune femme bossait à la bibliothèque de la ville. Faut croire que son stage avait été bénéfique. D’ailleurs, en connaissant Ali, c’était une bénédiction pour elle de pouvoir travailler là-bas, elle qui aimait tant les livres. Peu importe, revenons-en au fait qu’elle quitte la maison familiale. Depuis l’accident de voiture, survenu presque deux ans plus tôt, la relation entre Ali et ses parents s’était dégradée, encore un peu plus. Elle qui commençait à se sentir mieux chez elle, tout était revenu au point zéro. La situation était trop pesante pour elle, beaucoup trop. Ainsi, lorsqu’une de ses amies lui a proposé de rejoindre la petite colocation qu’elle formait avec deux autres personnes – dont l’une d’entre elles partait, justement –, Alizea trouva que c’était l’occasion parfaite pour s’échapper de chez elle. Une colocation, c’était le plan parfait pour quelqu’un qui n’aimait pas être seule. En tout cas, ce serait toujours mieux que de subir la pression quotidienne de sa famille.

2018 (été). « Tu crois qu’on arrivera à passer à autre chose, un jour ? » Question futile. « Tu crois que la douleur s’estompera, un jour ? » Elle savait que non. En tout cas, elle avait bien du mal à l’imaginer. Alizea était présentement assise sur le sable fin d’une des plages de la ville avec le frère jumeau de Luca, celui qui conduisait la voiture lors de l’accident. Elle avait sa tête posée contre son épaule et regardait le large. Après l’accident, ils n’avaient pas perdu contact, au contraire. Ils avaient passé beaucoup de temps ensemble. Le reste de la famille de Luca était tout ce qui lui restait de lui, pour Alizea. Alors, elle passait du temps avec son frère jumeau. Ensemble, ils essayaient de guérir, de se sentir moins coupable d’être en vie alors qu’il ne l’était plus, lui. Après tout, ils étaient ensemble lors de l’accident alors ils se comprenaient très bien. Elle avait perdu son fiancé et lui, son frère jumeau. Un désastre dans leur vie.
Trois ans (environ) que Luca n’était plus là. Et pourtant, ils avaient encore tellement de mal à oublier. Aux yeux de sa famille, Alizea n’était plus que l’ombre d’elle-même, un vrai fantôme. D’ailleurs, ils ne comprenaient pas pourquoi elle traînait autant avec le frère jumeau de Luca. Pour eux, elle se « faisait du mal pour rien ». Mais pour autant, ils ne cherchaient pas forcément à en savoir plus sur ce qu’elle ressentait vraiment.

2019 (printemps). Différente soirée, même plage. Toujours assis sur cette même plage, à regarder l’horizon. Alizea l’écoute. « C'est pas bien ce qu'on fait.. » Il avait raison et elle le savait. Un baiser, puis deux. Puis trois. Voilà où ils en étaient. Plus de six mois que cela se passait de cette façon. Ils rigolent, passent de bons moments ensemble tels des meilleurs amis, puis finalement, ils finissent par céder à la tentation. La culpabilité fait son chemin. Puis ils recommencent, encore et encore. A force de passer du temps ensemble, d'essayer d'imaginer un semblant de futur sans Luca, ils avaient cédé. Cela restait bien timide entre eux mais ils en avaient pourtant tellement envie, que ce soit du côté d'Ali ou du sien. Alors que devaient-ils faire ? S'interdire un semblant de bonheur ou ressentir une culpabilité à chaque baiser ? C'était la grande question qu'Alizea se posait à chaque fois.